« Le numérique, ce n’est pas que du logiciel ou de la ressource »
idruide vous propose un entretien avec Patrice Ulles, président d’Easytis, pour parler usages du numérique en classe et ressources pédagogiques.
L’entreprise a été créée par 3 personnes, Olivier Mico, Laureen Tordeux, et moi, en 2014. Nous travaillions pour un fabricant américain de tableaux numériques interactifs. J’ai eu l’occasion de beaucoup voyager, de visiter des écoles dans le monde entier et de voir ce qu’il s’y passait.
Nous avons donc décidé de développer cette approche, à travers la commercialisation de petits objets numériques à la manipulation simple. Le premier qui a vraiment bien marché, c’est le Bee-Bot, un petit robot Abeille. Il a participé à lancer l’idée que le numérique en classe pouvait être simple et accessible à tous.
Nous avons décidé de démarrer notre activité en ciblant le premier degré (maternelle et élémentaire) qui nous semblait en très grand retard d’équipement et d’usage du numérique par rapport à la plupart des systèmes éducatifs visités.
Nous avons depuis développé une offre pour le second degré mais notre activité sur l’école maternelle et élémentaire reste notre ADN. On s’est adapté au fur et à mesure, en fonction de l’évolution du marché et de la croissance d’Easytis.
Easytis a deux façons de travailler. D’abord en tant que distributeur. Nous commercialisons des outils fabriqués par d’autres, qui viennent notamment du marché anglais, qui a démarré l’intégration du numérique et le concept de STIAM éducation depuis quelques années.
Puis nous développons des solutions NUMETIS, notre marque. Là, nous allons imaginer des outils, que l’on va développer en France.
Nous faisons un gros travail de veille, afin de voir ce qu’il se passe autour de nous, dans des pays voisins ou plus lointains, pour voir ce qui fonctionne, comment se positionner sur l’innovation qui arrive.
Le numérique, ce n’est pas que du logiciel ou de la ressource. En complément des outils du socle numérique de base et des ressources logicielles, il existe des objets/outils numériques dits pédagogiques, qui forment une catégorie à part entière du numérique éducatif : des robots pédagogiques, liseuses, murs sonores, ou encore webradio, par exemple.
Le numérique en soi n’est pas le sujet. Ce qui est fondamental, c’est le développement des compétences des élèves : créativité, communication, collaboration, résolution de problèmes, esprit critique. C’est d’ailleurs pour cela que nous valorisons le concept de STIAM, dans lequel le numérique peut être utilisé dans différents contextes, par exemple lors d’une sensibilisation au changement climatique en utilisant une station météo connectée, ou lors d’un cours de géographie augmenté par l’usage de robots pédagogiques.
Avec le numérique, nous contribuons à former les citoyens de demain, nous participons aussi à valoriser les filières techniques et numériques pour les filles.
L’usage du numérique en classe oblige aussi à s’interroger sur la forme scolaire et aide à sortir d’une forme d’un enseignement traditionnelle dite « frontale », favorisant ainsi la différenciation des apprentissages.
L’usage d’un numérique éthique dans la classe intégrant notre spécificité culturelle, sans cloner le système anglo-saxon, permettra de préparer nos enfants aux métiers de demain, améliorant l’employabilité et favorisant également l’inclusion.
Nous sommes beaucoup axés sur la communication et la pensée critique. La robotique n’est pas seule, il y a plein d’autres propositions, comme le « tableau bavard ». C’est une petite tablette, pas du tout comme une tablette numérique, où on enregistre des séquences sonores pour favoriser l’apprentissage du langage en maternelle. Cela représente une base de vocabulaire pour les jeunes enfants.
Pendant la crise sanitaire, les enseignants se sont rendu compte que dans un contexte de travail à distance, il est très compliqué d’assurer une certaine continuité sans utiliser le numérique.
À la question « sommes-nous toujours en retard par rapport aux pays champions des évaluations internationales ? », la réponse reste oui, mais nous entrevoyons le chemin.
Mais il faut remettre l’enseignant au cœur des choix de cet équipement numérique.
Au-delà de l’argent nécessaire et « bienvenu » mis sur la table par l’État, le développement des usages du numérique dans le premier degré est ralenti par de nombreux facteurs.
Nous devons communiquer plus généralement sur les enjeux autour de l’éducation et aussi du numérique éducatif, des compétences du XXIe siècle. Ce type de sujet et ses enjeux sur notre avenir devraient entrer plus largement dans le domaine de la discussion politique !
Ce n’est nullement mon intention de critiquer qui que ce soit ou de polémiquer, mais il est utopique de vouloir proposer une égalité d’équipements sur toute la France quand les achats et les choix d’investissement sont répartis sur plus de 30 000 entités (mairies) qui ne sont pas hiérarchiquement ou directement en lien avec les utilisateurs (enseignants).
Nous travaillons bien entendu avec de nombreuses mairies qui ont su trouver les bons équilibres et qui réalisent un travail constructif de choix avec les équipes enseignantes. Ces mairies et leurs équipes ont compris l’intérêt d’investir dans les écoles de la ville pour le bien des élèves et savent aussi communiquer vers les administrés pour valoriser ces investissements.
Nous connaissons aussi de nombreuses mairies intéressées, mais par manque de moyens pour gérer ces sujets, elles se sont associées à des organismes tels que les syndicats mixtes, l’UGAP, qui eux possèdent les compétences nécessaires.
Mais il y a aussi de nombreuses mairies pour qui le numérique éducatif n’est pas un sujet et qui n’ont pas conscience de l’enjeu sociétal. Certaines préfèrent aussi investir dans des activités plus « visibles », telles que le périscolaire, qui pourra être valorisé plus directement comme un apport de la ville pour ses administrés, plutôt que des investissements dans « l’école de l’État ».
Et il existe de nombreuses autres situations qui ne favorisent pas l’introduction du numérique dans les pratiques. Dans ces derniers cas, on constate même un désintéressement du numérique par les enseignants du fait que, de toute façon, ils n’y ont pas accès.
Easytis continue de se développer et équipe déjà de nombreuses écoles, collèges et lycées en fournissant des solutions numériques à la plupart des académies, plusieurs milliers de mairies, des syndicats mixtes, des partenaires revendeurs, etc.
Nous avons constaté l’émergence de l’usage du numérique dans le premier degré et ce même à la maternelle et sans écran. Il n’y a pas si longtemps, on ne considérait le numérique éducatif qu’à partir de la sixième.
Nous avons aussi constaté une structuration positive importante des services de l’État pour orienter, optimiser et assister cette émergence : la DNE, les DANE, les ERUN, les IEN TICE,, le réseau Canopé, etc. Depuis peu, nous constatons aussi une prise en compte croissante des besoins budgétaires nécessaires pour transformer les pratiques en classe avec l’usage du numérique. Cela s’est concrétisé par des plans d’investissements tels que le Socle numérique de base et les Territoires numériques éducatifs.
En parallèle, il faudra bien entendu améliorer la formation initiale et continue des enseignants en y intégrant bien plus l’usage du numérique.
Mais nous devons aussi arriver à plus d’équité grâce à une meilleure communication collective au sujet des enjeux du numérique à l’école, ceci avec l’aide de l’État, mais aussi des groupements de collectivités AMF, AMRF, ANDEV, voire des médias traditionnels.
Nous émettons ainsi le souhait qu’un budget « Outils matériels numériques pédagogiques et ressources logicielles » soit attribué à toutes les écoles de France. Ce budget fléché doit être le même sur tout le territoire et calculé en fonction du nombre d’élèves et d’enseignants par école.
L’équipe enseignante devra avoir la charge de l’usage de ce budget. Il peut bien sûr continuer à passer par la mairie et pourra être abondé par l’État.
Nous pensons que donner le choix à l’équipe enseignante en appuyant la liberté pédagogique est la meilleure solution pour créer les conditions d’une acceptation globale de l’usage du numérique dans les classes.